De la grande visite

Envoyer Imprimer

Le tapis rouge a presque était déroulé, samedi dernier, pour la venue de deux très grands artistes russes dans le cadre des concerts des Diffusions Amal’Gamme, à l’église Saint-François-Xavier de Prévost. Si nous avons la chance d’avoir une telle visite chez nous, c’est grâce à la très grande collaboration de Michel Brousseau, ce très grand artiste et chef d’orchestre québécois, avec ce diffuseur des Laurentides. Suite à des invitations ou lors de ses tournées internationales, monsieur Brousseau réussit à établir des contacts avec d’autres artistes tout aussi talentueux.

C’est ce qui nous a permis d’avoir ce rendez-vous musical avec Elena Denisova, violoniste, et de Alexei Kornienko, pianiste et chef d’orchestre, tous les deux très réputés dans leur pays natal, ainsi qu’un peu partout à travers le monde. Ils forment un couple non seulement sur scène, mais aussi dans la vie. Ils étaient d’ailleurs accompagnés de leur grand fils qui faisait office de tourneur de pages pour son père. Ils devaient aussi avoir la présence du compositeur et directeur de l’Orchestre philharmonique de Sofia en Bulgarie, monsieur Yavor Dimitrov, dont ils interprétaient deux de ses œuvres. Malheureusement, pour une question de visa, semble-t-il, celui-ci n’a pu venir au Canada.

C’est dans ce contexte d’artistes invités de marque et fort de l’appui du Conseil municipal de Prévost par la présence du maire, monsieur Germain Richer, et du maire suppléant, que la soirée s’annonçait très prometteuse. Malgré tout, la salle n’était pas comble, comme elle aurait dû l’être pour de la si grande visite. Quand des membres du Conseil municipal de Prévost ne sont  pas présents, il y a peut-être de quoi se questionner sur l’importance véritable accordée à cette visite malgré la remise aux artistes invités, à la fin, d’une lithographie de Prévost et d’un vin d’honneur, événements très exceptionnels.

Pourtant, il est indéniable que le très grand talent de ces deux artistes internationaux était au rendez-vous. Dès les premières notes du Grand duo en la majeur, opus 162, de Franz Schubert, le ton était donné. Nous avions immédiatement le fort sentiment que nous étions en présence de deux artistes en pleine maîtrise de leur art. Tout au long de leur concert, sans se regarder, ils étaient constamment en parfait synchronisme dans des œuvres pas toujours évidentes et qui demandent de ne pas se tromper d’une seconde ou d’une fraction de seconde dans les différents accords musicaux.

Elena Denisova et Alexei Kornienko nous ont offert quatre œuvres mettant nettement en valeur la très grande maîtrise de leur art, dont cette œuvre de Schubert en ouverture de programme. Ils ont clôturé leur programmation avec la Sérénade pour violon et piano en la majeur du compositeur autrichien, Alexander von Zemlinsky. Ces deux pièces musicales étaient énergiques et accessibles, même si elles étaient inconnues pour la plupart des gens présents en ce dernier samedi d’avril. Si monsieur Kornienko est plus austère et solennel à son piano, c’est tout à fait le contraire pour madame Denisova, qu’on qualifie de la Piaf du violon en raison du fait qu’elle n’est pas très grande, mais surtout pour la passion qu’elle met dans ses interprétations. On dirait presque, parfois, qu’elle danse avec son violon dont elle fait corps. En ce sens, elle sort du cadre conservateur que pourrait avoir un tel concert.

Les deux autres œuvres au programme, soit celles avant et après la pause, étaient de monsieur Dimitrov. Ses œuvres qui se veulent des compositions alliant des principes d’esthétique et de composition classiques et non conventionnels à la liberté et à l’improvisation, deux caractéristiques du jazz, sont nettement plus hermétiques et difficiles d’appréciation pour monsieur et madame Toutlemonde. Quand de telles œuvres constituent la moitié de la programmation, cela ne peut qu’alourdir l’écoute des gens qui ont répondu à l’invitation.

Certes, les Diffusions Amal’Gamme n’ont aucun contrôle sur les choix musicaux de leurs artistes invités. Toutefois, je réitère qu’il importe que ces artistes comprennent qu’ils ne viennent pas jouer devant une élite musicale pour la très grande majorité. Que des œuvres nouvelles, voire même un peu plus difficiles d’accès, soient un peu au programme, là n’est pas le problème. Par contre, le simple mélomane a besoin de se reconnaître dans les choix musicaux. Il y a longtemps, maintenant, que des artistes ou des ensembles musicaux de chez-nous, comme des Alain Lefebvre, des Michel Corbeil, l’Orchestre symphonique de Montréal ou l’Opéra de Montréal, ont compris cela. Les artistes qui viennent nous rendre visite et dont nous répondons à leur invitation, au-delà de leur talent et de la maîtrise de leur art, se doivent d’en tenir compte. Ne dit-on pas qu’on n’attire pas les abeilles avec du vinaigre?

Samedi soir dernier, les spectateurs ont certes reconnu le très grand talent de ces deux grands artistes, mais il faut reconnaître que l’ovation debout habituelle à la fin du spectacle ne fut pas spontanée et même très lente à se manifester. Tout au plus, nous avons été respectueux comme nous le sommes quand nous recevons de la grande visite à la maison, même si le rendez-vous, le plaisir ne furent pas à la hauteur de nos attentes. C’est en soi quelque peu triste pour les Diffusions Amal’Gamme qui mettent beaucoup d’efforts pour nous offrir des choix musicaux de très grande qualité. La lacune est chez certains artistes. Ils et elles devraient en tenir compte pour la suite des choses dans notre coin de pays et même s’ils poursuivent sans nous leur périple musical à travers le monde. S’il faut lever notre verre, levons-le à la santé et à l’avenir de notre environnement musical dans les Laurentides!

Pierre Lauzon       
Les éditions Pommamour