Avec la venue, entre autres, des nouvelles technologies, il ne se passe à peu près pas une journée sans que notre lexique francophone ne s’enrichisse d’un nouveau mot pour effectivement nommer ce qui, en apparence, n’existait pas auparavant. Connaissez-vous le nouveau mot « chronodégradable »? Ne le cherchez pas dans le dictionnaire! Même Word de Microsoft ne le connaît pas encore! Que signifie-t-il? C’est en soi simple, trop simple pour ne pas l’avoir utilisé avant.
Chronodégradable vient de faire son apparition en raison de la venue toujours plus grande des livres numériques ou des livrels. Les bibliothèques publiques, celle de votre localité ou la Bibliothèque nationale du Québec, se devaient de trouver les moyens pour mettre à la disposition de leur clientèle, non seulement des livres en version papier, comme elles le font depuis de très nombreuses décennies, mais aussi en version électronique pour lecture par téléchargement sur tous les nouveaux appareils de lecture numérique, ordinateurs ou iPad. Comment y arriver sans bafouer les droits d’auteur?
On a finalement trouvé la solution. Que ce soit sur le site de la Bibliothèque nationale du Québec, en ce moment, (http://www.banq.qc.ca/ressources_en_ligne/livres-numeriques/index.html) ou très bientôt, si ce n’est déjà le cas, sur le site de votre bibliothèque municipale, vous pourrez emprunter un livrel pour lecture chez vous, comme vous le faisiez auparavant en allant chercher un livre à votre bibliothèque. Comme le livre en version papier ne vous était pas prêté éternellement, il en va de même pour le livrel. Quand vous en téléchargerez un, il vous sera prêté pour une période bien définie. C’est là que le mot chronodégradable fait son entrée. En vous le prêtant, la bibliothèque y aura inséré un dispositif qui fera en sorte que le livrel ne sera plus accessible pour vous au-delà du prêt consenti. On parle donc d’un prêt ou d’un livrel chronodégradable. Évidemment, ce mécanisme n’existe pas si vous achetez le livrel chez un éditeur ou auprès d’une librairie.
Toutefois, sur notre chère planète Terre, tout n’est-il pas chronodégradable? Si on s’y arrête deux minutes, qu’est-ce qui n’a pas une date de péremption, en commençant par nous-mêmes, chers terriens et terriennes? C’est ce qui m’amène à parler de nos systèmes publics de retraite. Depuis, en particulier, le retour des Fêtes, alimentés par certains démagogues de droite qui ont accès facilement aux grands médias, de nombreux spécialistes ou politiciens se questionnent tout haut sur la survie à long terme de ces régimes. On pense même à prendre des mesures immédiates pour enrayer la descente aux enfers. Il est alors question de geler ou de diminuer les rentes de retraite actuelles, ou de fixer à 67 ans ou plus l’admissibilité. Un petit chausson avec ça?
Il faut dire que ces attitudes sont hautement irresponsables, car cela ne contribue qu’à créer un stress complètement inutile pour toutes ces personnes âgées qui ne comptent que sur ce maigre revenu pour boucler eux aussi leurs fins de mois. Et comme c’est toujours plus flamboyant quand on peut identifier le grand responsable et le démoniser, alors pourquoi s’en priver? Ce grand responsable serait la génération des baby-boomers qui ont déjà faussement lapidé l’héritage de leurs enfants et de leurs petits-enfants et qui envahissent maintenant la retraite pour vider les fonds de retraite. Quelle aberration!
Pourtant, s’il y a une génération qui va hériter financièrement, c’est bien celle de nos enfants. Nos parents, pour l’immense majorité, n’étaient pas riches. Alors, nous avons très peu hérité au niveau argent. Par contre, les finances personnelles des baby-boomers étant pas mal plus élevées, la plupart des enfants issus de cette génération encaisseront un héritage économique sans précédent dans l’histoire de l’Humanité, tout comme ce sera encore plus vrai pour les enfants des enfants des baby-boomers, et ce, sans parler de l’héritage social et personnel que cette génération de supposés bébés gâtés laissera. Alors, arrêtons de charrier!!!
Est-ce que cela veut dire qu’il ne faut pas requestionner nos régimes publics de retraite? Évidemment, non! Mais il faut le faire sans démagogie et d’une façon intelligente et imaginative. Et surtout, qu’on établisse immédiatement qu’il est hors de question, même à long terme, de toucher à ces revenus pour tous et toutes les retraités actuels du Québec. Pour les générations à venir, c’est là que l’imagination doit entrer en ligne de compte. Pourquoi? Parce que nous sommes tous chronodégradables. Toutefois, la date de péremption de mes parents n’était pas celle de la génération des baby-boomers et celle de mes petits-enfants ne sera la mienne. Mes petits-fils peuvent espérer vivre facilement jusqu’à cent ans et pas mal plus. Alors peuvent-ils espérer travailler pendant 35 ans seulement ou prendre leur retraite à 65 ans, alors qu’ils ont d’excellentes chances de profiter de leur retraite publique pendant 50 ans? Poser la question, c’est presque y répondre.
S’il y a une faute à imputer à la génération des baby-boomers et aux générations précédentes, c’est d’avoir largement contribuer à repousser grandement notre date de péremption. Sur ce chapitre, nous plaidons coupables!!! De là à nous en vouloir pour l’éternité ou presque, est-ce qu’on peut se garder une petite gêne? À l’école où j’enseignais en fin de carrière, je discutais avec un collègue qui souhaitait la venue de la vie éternelle, pas religieuse, mais terrienne. Je lui ai fait valoir que, personnellement, cette dimension à n’en plus finir ne m’intéressait nullement. Je lui disais : « Te rends-tu compte que toi qui aspires à une retraite pas trop lointaine, si l’éternité nous était donnée, le mot retraite disparaîtrait, car ce qu’on pourrait t’offrir, ce ne seraient que quelques années de répit avant de revenir travailler pour te permettre un autre répit? »
Finalement, ce n’est pas une mauvaise chose d’être tous chronodégradables.
Johnny Marre
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