Dans mon enfance, dans notre enfance à l’eau bénite, comme a déjà écrit Denise Bombardier, la chose la plus ignoble que la bible mettait en lumière, c’est sans nul doute la trahison de Judas envers son maître, Jésus. Pendant plusieurs années, il avait accompagné cet homme hors de l’ordinaire, avait écouté son message rassembleur, avait ri, avait marché avec lui, avait partagé leurs prises de poissons. Puis, un jour, Judas a tourné le dos à ce maître spirituel et aux valeurs qu’il véhiculait pour le vendre aux gens de pouvoir. Ainsi, Judas cherchait à sauver avant tout sa peau. Ce geste nous était présenté comme étant tellement ignoble, que plus jamais personne n’a osé appeler un de ses fils du prénom de Judas.
Dans notre vie contemporaine, vous comme moi, nous en avons vécu de ces trahisons, tant sur le plan personnel que professionnel, des relations familiales ou des amitiés trahies, des collaborations intenses de travail ou de supposées solidarités syndicales tout aussi trahies. Ayant œuvré pendant plus de 35 ans dans notre cher système public d’éducation au Québec, j’ai été témoin de plusieurs trahisons. Je me rappelle, entre autres, de certains syndicalistes, souvent parmi les plus ardents ou les plus à gauche, qui, un jour, par opportunisme économique ou un je ne sais quoi incompréhensible pour leur entourage, décidaient de devenir des « boss » (mot qui leur donnait pourtant le goût de vomir, le plus souvent, auparavant!).
Neuf fois sur dix, ils se révélaient les pires cadres ou les pires directeurs de la commission scolaire. On aurait dit qu’ils croyaient qu’ils se devaient d’en mettre plus qu’il ne fallait pour que leurs propres patrons soient convaincus qu’ils n’étaient vraiment plus des syndicalistes et qu’ils étaient hautement capables de tenir tête aux ex-camarades. Leur discours supposément rempli de convictions ultra profondes changeait radicalement de couleurs. Aujourd’hui, ils jouissent d’un fonds de retraite beaucoup plus payant que leurs ex-collègues de travail ou leurs ex-camarades syndicalistes. Comme quoi renier ses convictions ou ses allégeances peut être payant, contrairement à Judas Iscariote. Je tiens à préciser que ce n’est pas le fait de devenir un « boss » qui soit un problème. C’est plutôt de trahir sa cohérence, de changer son discours pour servir avant tout ses propres fins.
Récemment, au Québec, on a fait grand cas des transfuges politiques, en particulier pour le passage de François Rebello du PQ à la CAQ, ainsi que celui de Lise Saint-Denis du NPD au Parti libéral du Canada. Certains plaident qu’ils ont bien le droit de changer de parti s’ils ne se sentent plus bien dans leur première allégeance. S’ils ont un droit légal, ils n’en ont pas pour autant un droit légitime. Contrairement aux syndicalistes dont je vous parlais tantôt qui avaient tous les droits de faire ce qu’ils voulaient de leur vie, même si c’était au prix d’amitiés fauchées. Dans le cas des transfuges politiques, ce n’est pas du tout la même chose.
Personne ne réussira à nous faire croire que lorsque nous allons voter, nous votons avant tout pour le candidat. Si certains le font, c’est une très petite minorité. Ce n’est pas cela qui donne une victoire. De rares exceptions comme Roch Lasalle, dans le comté de Joliette, dans les années soixante-dix, a réussi cet exploit de se faire constamment réélire alors que la trudeaumanie dominait le Québec avec 74 députés sur 75. Quand un électeur se présente dans l’isoloir pour y inscrire son choix électoral, il pense, dans la très grande majorité des cas, au chef ou au parti qu’il désire voir à la gouvernance de l’État.

Tous sont unanimes pour reconnaître que si, en mai dernier, il y a eu un vent orange au Québec, ce n’est pas à cause des parfaits inconnus, le plus souvent, qui se présentaient sous la bannière NPD, mais grâce à ce bon vieux Jack avec sa canne. Donc, Lise Saint-Denis doit sa victoire à Jack Layton et non à elle. Les électeurs de son comté ont choisi Jack et non elle. C’est exactement le même scénario pour François Rebello, mais aussi pour Benoît Charrette, Daniel Ratthé, ainsi que les six députés adéquistes qui ont été élus avec Mario Dumont., comme chef à l’époque. Tout ce beau monde, si l’on peut dire, doit leur « job » de député à leur chef lors de l’élection ou à la bannière sous laquelle ils ont demandé de leur faire confiance. Le contrat électoral entre eux et leurs électeurs était alors très clair. S’ils s’étaient présentés pour un autre chef ou sous une autre bannière, ils ne seraient pas députés aujourd’hui.
Donc, quand, aujourd’hui, ils décident de changer d’allégeance, ils bafouent le contrat électoral qu’ils ont signé avec leurs électeurs. Ils n’ont aucune colonne vertébrale pour démissionner et redemander à leur population, qu’ils se drapent de représenter, si elle est d’accord avec le nouveau contrat électoral qu’ils leur proposent. On a beaucoup parlé du cas François Rebello, mais les deux transfuges de notre coin de pays, c’est du pareil au même. Dans les Laurentides, Benoît Charrette dans le comté de Deux-Montagnes et Daniel Ratthé dans le comté de Blainville ont bafoué leur contrat électoral. Ils ont trahi le mandat donné par les électeurs de leur circonscription. S’ils avaient deux onces de courage, ils se soumettraient immédiatement au verdict de leurs électeurs. Ils ne le feront pas, même si le prix à payer est la perte de respect envers eux de la part de très nombreux électeurs et des amitiés, des solidarités fauchées. Il faut être des vrais démocrates pour le faire.
Johnny Marre
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