Nos lâchetés |
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Johnny Marre |
Lundi, 05 Septembre 2011 |
Dans les dernières années de sa vie, mon père a souffert d’insuffisance rénale. Il a donc dû se soumettre à des traitements de dialyse trois fois par semaine. Plus souvent qu’autrement, il a trouvé cela pénible. La seule solution pour échapper à cette cure de son sang pendant trois longues heures aurait été un don de rein, cet organe si précieux qui doit normalement faire ce travail de purification de notre sang. On sait que les listes d’attente sont longues, sauf si un proche se porte volontaire pour nous en offrir un. J’ai été lâche. En aucun temps, je n’ai posé un geste quelconque dans cette direction pour redonner une meilleure qualité de vie à mon père. Je n’ai même pas cherché à savoir si j’étais compatible ou non pour pouvoir faire ce don. Je pourrais trouver mille et une excuses. Je pourrais constater que, finalement, aucun autre de ses enfants ou de ses petits-enfants n’a fait ce don ultime de générosité. Puis, après! Est- ce que cela amoindrit ma propre lâcheté ?
J’ai été lâche. Jamais, malgré les nombreuses invitations en ce sens tout au cours des années, je n’ai été à une clinique de sang. Tous les prétextes étaient bons. Le manque de temps (comme si mon père en avait tellement plus que moi !), la remise à la prochaine occasion (comme si remettre toujours au lendemain était un véritablement cheminement de vie !), la peur de l’aiguille (pourtant je me soumets assez facilement à des prises de sang depuis plus de quinze ans pour m’assurer de mon bon état de santé !), la crainte des effets secondaires sur le plan physique de ce don (trop pissou pour l’avoir expérimenté au moins une fois !), alouette… Cessons un peu cette autoflagellation ! Car je pourrais allonger cette liste de moments de plus ou grande lâcheté pendant plusieurs autres pages. Je pourrais trouver mille et une excuses à chaque fois pour tenter de minimiser ces moments de faiblesse ou de paresse en refusant des moments de présence, d’aide ou d’appui. Cela ne changerait rien à mon historique de vie. Je ne l’ai pas fait. Un point, c’est tout. Comme pour tous les autres terriens et terriennes, il m’est impossible de réécrire ma vie. Les « j’aurais dû » ne réparent jamais les pots cassés ou ne justifient aucunement nos lacunes. C’est bien sûr que je n’ai pas été qu’un lâche toute ma vie. J’ai eu de très nombreux moments de dons, d’aides, d’appuis (différents certes de mon père !). Je cherche jour après jour à être moins lâche, même si je sais pertinemment que je le serai encore jusqu’à mon dernier souffle et que je trouverai toujours l’excuse pour échapper à ces requêtes de la vie. Car des excuses ou des justifications, il doit y en avoir. C’est inhumain d’être constamment au top d’aide, d’empathie, de générosité envers tous ceux et celles qui nous entourent. Je suis convaincu que même Mère Térésa ou le Frère André n’étaient pas toujours au sommet de leur générosité. La première générosité n’est-elle pas avant tout avec nous-même, sans pour autant devenir un paravent pour mieux nous cacher des autres ? Si on n’est pas généreux envers notre propre personne, comment peut-on l’être avec les autres ? Certains se diront que Johnny a sûrement passé un dur été pour être aussi peu joyeux dans ses propos. Rassurez-vous ! Je suis en excellente forme et même, en dangereuse forme, si je peux me permettre. Avoir des moments de lucidité ou de bilan de vie à l’occasion n’est nullement néfaste. Au contraire, cet éclairage permet de mieux baliser le reste du chemin à parcourir et de repartir pour aller toujours plus haut, toujours plus loin sur le sentier de notre vie, avec la reconnaissance de nos faiblesses, mais aussi et surtout de nos points forts. Que cette quête du bonheur pour nous et pour les nôtres se poursuive jour après jour en recherchant certes le meilleur, mais en étant par contre très lucide, car la sainteté est loin d’être pour tout le monde ! La vraie vie a toujours ses hauts et ses bas, et c’est ce qui fait son charme. Johnny Marre |