« Les poètes nous aident à aimer : ils ne servent qu’à cela. » Ainsi parlait le talentueux Anatole France au sujet de cette forme littéraire si souvent mésestimée. À plusieurs d’entre nous, il nous est arrivé de pondre, comme on dit familièrement, un ou quelques poèmes aux rimes plus ou moins recherchées pour témoigner notre amour à un être très cher, ou pour exprimer nos états d’âme du moment.
Certains poussent la rime un peu plus loin que l’ensemble de la population, comme certains se font peintre du dimanche ou écrivain solitaire. Même si on reconnaît aisément que la poésie doit occuper une place importante dans toute civilisation, il n’y a finalement que quelques individus qui en font une essence particulière et vitale de leur vie. De là à donner vie publiquement à ces poèmes, il y a un Everest à escalader pour y arriver. Déjà, la littérature dans son ensemble a beaucoup de difficultés à laisser ses traces pour la civilisation actuelle et celles à venir. Plus particulièrement, ici, au Québec, s’il n’y avait pas un apport important de subventions gouvernementales, notre littérature serait à toutes fins pratiques inexistantes. C’est largement reconnu que très peu d’écrivains, d’auteurs vivent de leur plume. Là, il est question avant tout et presque exclusivement, de romanciers. La poésie est, pour sa part, le parent le plus pauvre (économiquement parlant, évidemment!) de toutes les formes de la littérature, ailleurs comme ici.
Récemment, j’ai reçu une invitation de Poètes et co. pour assister à une soirée de poésie dans un sympathique petit café de Saint-Jérôme. C’était la première fois que j’avais l’occasion d’aller à une telle rencontre. Comme la plupart des gens, je n’ai jamais été porté à répondre à ces rendez-vous annoncés dans des médias. Une soirée de poésie, cela semble tellement « flyé » qu’à prime abord, on se dit que ce n’est pas notre tasse de thé ou… de tisane. J’ai déjà lu, à l’occasion, des textes de très grands poètes. Un peu comme la peinture abstraite, parfois j’y trouvais un petit quelque chose d’intéressant, mais la plupart du temps je demeurais perplexe face à ce que je lisais.
Poètes et co. (pour Poètes et compagnie, mais aussi pour Poètes qui veulent faire « écho » à leur expression artistique trop souvent solitaire) est la rencontre de trois poètes laurentiens, , qui cherchent, depuis déjà quelques mois, à donner une vitrine aux poètes laurentiens qui n’ont pas de tribune pour rendre public leur désir de création littéraire. Cette soirée de mai se voulait un essai de plus dans leur recherche de la formule qui permettrait aux poètes des Laurentides de se faire voir, mais surtout entendre.
Car la poésie peut certes se lire, mais elle prend néanmoins une toute autre dimension quand elle est lue publiquement par un ou une auteure ou par un ou une interprète de grand talent. Dans ce petit café jérômien, ce fut le premier constat qui m’est venu rapidement à l’esprit. Les poèmes que j’ai eu l’occasion d’entendre ce soir-là, je suis convaincu que je les aurais trouvés moins intéressants et vivants si je les avais seulement lus dans le petit confort de mon foyer. N’ayant rien d’une âme de poète et, encore moins, de lecteur averti de cette forme littéraire, je les aurais trouvé plus banals, plus ordinaires. Toutefois, sortis de la bouche d’un poète qui pratique cet art, ils prenaient une toute nouvelle dimension.
Il y aura quinze ans, cette année, qu’un des plus grands, si ce n’est le plus grand poète du Québec, un Laurentien, Gaston Miron, est décédé. Même si tous ont reconnu son talent, il n’a jamais réussi à vivre uniquement de sa poésie. Toutefois, ses poèmes n’ont jamais été aussi vivants que lorsque lui ou un interprète y donnait toute sa dimension en le lisant ou en le proclamant publiquement. Il y a une couple d’années des interprètes de chez nous ont décidé d’ajouter une dimension supplémentaire aux poèmes de Miron, la musique. Contre toute attente, la vente du cd a connu un tel succès que l’on a décidé de récidiver et cela nous a donné aussi l’occasion de voir la poésie de Gaston prendre une toute nouvelle expansion sur scène.
La poésie dans la stricte intimité de notre demeure, c’est bien. Par contre, pour qu’elle vive et s’ouvre au monde, nous avons besoin de lieux d’expression. C’est ce à quoi veulent travailler Poètes et co. pour le plaisir de tous. En ce moment, il et elles expérimentent, sont à la recherche d’une formule gagnante pour la poésie avant tout. Car, il y a le risque de faire de ces rencontres des occasions pour initiés ou amis, où monsieur et madame Toutlemonde auront de la difficulté à s’y retrouver. À partir de thèmes suggérés, Poètes et co. voudraient rendre la poésie le plus largement accessible. Ainsi, pour leur prochaine rencontre, fin septembre, ils voudraient faire une place dans la soirée à Pauline Julien.
C’est tout un défi, un merveilleux défi, que Gisèle Bart, Anna Louise Fontaine et Sharl se donnent. C’est l’avenir qui nous dira s’il y a lieu qu’une tribune accessible pour la poésie laurentienne puisse trouver sa voie et sa voix pour la vivacité de cet art, dans notre si beau coin de pays qui se prête tellement aux poèmes les plus exaltants et porteurs de vie.
Pierre Lauzon
Les éditions Pommamour