Blanc comme neige? Imprimer
Johnny Marre
Lundi, 24 Janvier 2011

Nous vivons dans une société de droit où la présomption d’innocence en est une assise très importante. Afin de pallier aux nombreuses lacunes du passé où des innocents ont été condamnés et certains ont même été exécutés injustement, il est primordial que toute accusation, envers qui que ce soit, soit étayée de preuves hors de tout doute raisonnable. L’envers de cette médaille, c’est que ce n’est pas parce qu’on ne peut prouver noir sur blanc que quelqu’un est coupable que cet individu est innocent pour autant. La notion de crime parfait n’existe pas pour rien. Et les Colombo ou les Sherlock Holmes de ce monde sont rarissimes pour dénouer les ficelles de ces crimes parfaits.

Il y a donc, d’une part, les gestes illégaux commis par un ou des individus dont on essaie de faire cette preuve irréfutable pour pouvoir les condamner en vertu de nos lois existantes. Puis, il y a tous ces gestes tout aussi illégaux dont on ne réussit pas à trouver le ou les coupables, l’arme du crime ou les preuves suffisantes. C’est ainsi qu’un homme peut avoir tué sa conjointe et être libre comme l’air aujourd’hui s’il a été assez intelligent pour bien préparer son coup afin de ne pas laisser de traces susceptibles de l’inculper. Un prédateur sexuel peut continuer ses ravages si personne ne le dénonce. Un voleur peut s’enrichir s’il sait faire un Arsène Lupin de lui-même. C’est ainsi que nous côtoyons chaque jour des coupables, petits ou grands.

Puis, il y a ce très large éventail de gestes qui ne sont nullement illégaux, mais qui ne sont pas moins immoraux, faibles éthiquement et tout aussi condamnables, selon les sociétés. Votre voisin et ami reçoit régulièrement une jolie dame pendant que sa conjointe est au travail ou partie en voyage d’affaires. Un de vos collègues est absent du travail pour une supposée indigestion alors qu’il vous a dit la veille qu’il comptait prendre sa journée du lendemain pour aller faire du ski. Un représentant syndical dîne avec le patron pour « barguigner » un grief d’un confrère contre le vôtre. Un entrepreneur en déneigement dépose une caisse de bouteilles de vin à la porte du maire avec ses vœux de « Bonne année! ». Est-ce nécessaire de poursuivre cette liste???

Toute cette panoplie de gestes qui n’ont rien d’illégaux peut très bien échapper à une quelconque condamnation, car, encore là, vous pouvez réussir à semer le doute, mais, de là, à en faire la preuve, c’est une autre paire de manches. Si les choses n’étaient que noir ou blanc, tant pour ce qui est illégal que pour ce qui n’est pas sanctionné, on n’aurait pas besoin de caméra cachée ou non, de lignes téléphoniques sous écoute, de délateurs… Ce serait si simple.

Le juge Michel Bastarache vient de rendre public son rapport. On apprend, sans aucune surprise, que la preuve noir sur blanc des allégations de Marc Bellemare n’a pas été faite, mais que le processus de nomination des juges est loin d’être non partisan, puisqu’il est pourtant fortement recommandé de corriger cette situation nullement illégale. Quand on a été juge et, à plus forte raison, de la Cour suprême du Canada, on ne peut travailler qu’avec la logique légale, à savoir que l’on ne condamne jamais quelqu’un sans une preuve en béton. La parole de l’un contre la parole de l’autre n’a jamais de valeur légale.

Est-ce à dire que notre premier ministre n’a jamais fait ce que lui reproche Marc Bellemare? Est-ce à dire que des pressions pour des nominations à différents postes de la magistrature ou des services gouvernementaux, cela n’existe pas? Est-ce à dire que les retours d’ascenseurs, cela est de la science-fiction politique? Le simple bon sens du peuple lui dicte que les zones grises existent depuis toujours, tant dans nos vies personnelles que dans celles de nos dirigeants.

C’est d’ailleurs très symptomatique qu’au lendemain du dépôt du rapport Bastarache, de nombreux médias ont titré « Jean Charest se dit blanchi » et non « Jean Charest est blanchi ». Il y a ici une nuance importante qui n’est nullement innocente. De là à délirer comme l’éditorialiste de La Presse, André Pratte, l’a fait, le 20 janvier dernier, en concluant son éditorial par un « Ça ne sera pas la première fois que la foule préfère le lynchage à la justice », il y a certes là aussi place pour un peu plus de retenue. Le peuple ne veut pas tuer. Il veut que l’on ne le prenne pas pour un idiot. Il se réserve seulement le droit de déterminer en qui il investit sa confiance. Cette confiance, c’est comme le respect. Cela se mérite.

J’en ai marre de tous ces gens qui voudraient que l’on ne pense qu’en noir et blanc. Est-il possible en 2011, non seulement de rêver un peu en couleurs, mais aussi de penser dans toutes les teintes possibles et de valoriser toutes ces belles nuances de gris? Un arc-en-ciel, c’est si beau! Même politiquement…

Johnny Marre 

 

 
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